C’est comme un murmure.
Dans un coin de ma tête.
Je me pose la question depuis tellement de temps, qu’elle résonne à présent.
Pour d’autres, ce ne serait pas si terrible. Pour moi, c’est plus qu’une avalanche. Je n’ai aucun plus. Tout ce qui se réfère à ma simple personne est dans le négatif. Oui, c’est encore une chose qui s’ajoute à la longue liste qui fait de moi un si médiocre sorcier.

Le serpent est l’emblème de ma famille, comme beaucoup de familles de sorcier au Sang Pur. Ou plutôt, celles qui restent encore.
Je suis considéré à demi comme le mouton noir de la fratrie. Je dis bien « à demi », car j’ai pu rehausser ma position dans le classement il y a quelques années. Quelle fierté, oui quelle fierté pour eux, d’avoir un fils doué de la faculté de parler aux serpents. Un don jadis possédé par Salazar Serpentard, puis par le Seigneur des Ténèbres. Ils y voient une gloire, une récompense pour le nom des Dashwood. Cela ne les empêche pas de me bousculer un peu, bien sûr. Pour eux, je ne fais pas assez honneur à mon don et à mon nom. Je devrais me comporter comme mon frère, ma soeur...

Que dois-je faire pour redorer le blason de ma personne ? Aller leur siffler aux oreilles pour leur faire peur et donc leur démontrer que je n’ai rien d’une mauviette ?
Je passe décidément trop de temps à me parler à moi-même.

Je détachais mes yeux du reflet dans le miroir. Qu’y voyais-je ? Un jeune homme blond, trop bien coiffé, avec l’air de trop souffrir. Et mes yeux. Des yeux de serpent. Je ne pouvais m’empêcher de le penser, de le voir. Je ne me suis jamais accommodé à ma condition de Fourchelang. Chez tous les sorciers, c’est considéré comme une malédiction et une preuve de puissance malsaine. Je n’en crois pas un mot.
La seule créature vivante que j’ai jamais tuée était un cafard sur lequel j’ai marché, glissé, avant de dévaler sur les fesses les trois étages d’escaliers qui constituent la maison familiale. Quelqu’un a dit « puissance » ou même « élégance » ?

Je sortais de la salle de bain aux couleurs argent et émeraude. Je me rendais jusque dans la pièce principale, vide à cet instant de la journée. Enfin presque. Seul l’animal domestique de la famille y était, lové dans un des fauteuils, le regard brillant. J’avais une nouvelle fois éveillé son attention. Nous nous regardions, en chien de faïence, pendant de longues minutes. Chaque rencontre avec lui était une bataille. Il me répugnait autant que je lui plaisais. Nous avions les mêmes yeux que je déteste tant. Et nous nous comprenions.
L’énorme python se mouvait doucement, déroulant son long corps pour glisser du fauteuil. Je n’avais pas peur de lui mais il ne me craignait pas non plus - qui me craindrait ?
Il s’enroulait autour de mon bras et levait sa tête au niveau de la mienne, la langue frémissante. Je tournais lentement mon visage vers le sien. J’acceptais rarement de lui parler. La froideur de son corps s’étendait sur ma peau, mais avec une étonnante douceur, non-agressive. Nous étions semblables. Malgré moi.
Le silence ne se prolongeait pas plus longtemps. Ravi comme toujours d’avoir affaire à quelqu’un qui pouvait le comprendre, il se mit à émettre le sifflement caractéristique de sa langue.

LUX — Tu es si pur... Où est passé cette force morale qui te caractérisait jadis ?

Je plissais les yeux. Je n’aimais pas qu’il parle de mon enfance. À ce moment-là, j’étais un autre. J’étais plus extraverti, je suivais clairement les idées noires et préconçues des Dashwood. Mais pourquoi, pourquoi, ce jour, l’année de mes huit ans, est arrivé ? Le python familial était déjà là. Mais je n’avais rien dévoilé d’exceptionnel, ni de lien particulier avec lui. Nous nous étions retrouvés seuls pour la première fois, dans cette même pièce. C’était comme si le temps s’était arrêté. C’était comme si j’avais découvert que j’étais un monstre. Ce que j’avais idolâtré pendant toutes ces années s’était avéré être mon pire cauchemar... Et ma réalité. Il s’enroulait et se déroulait sur le sol. Il s’était redressé et avait sifflé des mots tout à fait étranges.
Je l’avais compris.
Et instinctivement, je lui avais répondu.
J’ignore encore aujourd’hui d’où cette répugnance vient. Lorsque j’en viens moi-même en enrouler ma langue pour prononcer des mots d’origine non-humaine, et que parfois, en totale contradiction avec mon esprit, j’y trouve de la satisfaction... Rien ne peut plus m’inspirer le dégoût. Il ne me manque que les écailles.
Je ne supporte plus que ce son ingrat parvienne jusqu’à mes oreilles.

L’expression de mon visage se fermait. Il me connaissait, et savait toucher la corde sensible. Il trouvait toujours le moyen de me faire céder et me faire ouvrir la bouche. Je serrais le poing, contenant une indicible colère. Ma faiblesse serait ma perte. Je n’étais rien. Et qui plus est, j’étais à la merci de cet horrible don.

SNOW-TALAITH — Tais-toi. Fais-moi le plaisir d’aller cuver ton venin ailleurs.

Un éclat s’illuminait dans les yeux du serpent. Il avait eu ce qu’il voulait, mais désobéissait rarement à un ordre direct, même venant de ma part. Il avait un rôle d’elfe de maison ici. Nous en avions un avant... Il s’en est servi de quatre heures.
Le python se déroulait et tombait sur le sol. Sa forme allongée se dissipa vite et quitta la pièce par la porte entrouverte. Une nouvelle fois, je me sentais troublé. J’ignorais qui j’étais, un humain ou un serpent ?
Cette question peut paraître terriblement stupide... Or, c’est elle qui dirige la triste et fade vie que je mène depuis l’âge de huit ans.